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Page:Variétés Tome VII.djvu/171

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dernière année, qui a pourmené le gendarme et le soldat impunément et silentieusement par tout le royaume, et qui a non seulement mangé, mais dissipé ce peu qui restoit des reliques de ladite sterilité. Ces deux accidens ont ruiné tellement le païsan, que depuis trois ans il s’est engagé année sur année, et principalement depuis la feste de Pasques dernière a esté reduit en telle necessité, qu’il n’a vescu que d’emprunts, ayant emprunté le blé au pris que le boisseau, ou le setier, ou autre mesure (et selon la coustume des lieux), se vendoit lors au marché le plus prochain de son domicile. Il a pareillement emprunté l’argent, le drap, la toile et autres choses, à icelles rendre en bled, ou à payer à la valeur susdite, esperant (comme l’apparence de l’année dernière a esté fort belle jusques au mois de juing) que sa recolte luy donroit moyen de payer ses debtes, d’avoir du bled pour semer, et pour vivre tout le reste de l’année. Mais qui a veu jamais une plus mauvaise recolte, ny une année plus sterile ? Le pauvre paisant, en plusieurs endroits, n’a pas recueilly sa semence, et quant aux vignes, qui est une pauvre richesse, là où il y en a, les paisans se sont engagez de mesme, et y a eu si peu de vin qu’ils n’ont pas de quoy payer leurs debtes, tant s’en faut qu’ils puissent en avoir de quoy achepter du bled pour vivre ny pour semer. Les deux ordinaires minières de la vie des hommes sont les bleds et les vins, car les autres moyens ne sont si ordinaires. Voilà donc le paisant ruiné ; il faut qu’il paye le marchant son creancier, et qu’il luy donne bled pour bled ou la valleur d’iceluy, au pris qu’il se vendoit lorsqu’il