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Page:Vaudere - Les Demi sexes.pdf/67

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LES DEMI-SEXES

sous un chêne énorme, solennel, qui avait sur son écorce une patine de métal et la rugosité d’une peau de bête centenaire. Devant elle, une nappe de géraniums d’un rouge vif plaquait des fleurs de meurtre sur le velours chaud des feuillages. Au milieu d’un tapis vert, le marbre d’une statue s’animait d’une vie sur naturelle, éblouissante ; plus loin, des hémicycles de pierre s’arrondissaient capricieusement sous les morsures du lierre, et des fraîcheurs de fontaine jaillissaient au-dessous, semblaient égoutter encore de la lumière.

Parfois, elle allait au bout du jardin, vers une colonnade régulière de grands pins d’Italie, dressant la majesté de leurs nefs à jour ; et, à mesure qu’elle avançait sous ce bois monumental, aux troncs résineux, aux parasols entre-croisés de branches violettes, à la chaude fourrure de mousse et de cendre grise, elle se sentait emplie d’un bien-être inexprimable. Ainsi ses premières années s’étaient écoulées au milieu des sourires de la nature, de la protection des êtres et des choses. Avec regret elle évoquait maintenant le songe d’un bonheur impossible. Petit à petit, par ses imprudentes lectures, par la fréquentation de ses compagnes perverses, le mal était entré en elle et avait