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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/92

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— 1800 - 1807 —

ger, conspirassent contre la France, c’était, disaient-ils, encourager tous les complots et accorder aux coupables la plus dangereuse impunité ; les Bourbons et leurs partisans recommenceraient chaque jour ; il faudrait punir dix fois au lieu d’une, tandis qu’en frappant un grand coup, on pourrait ensuite rentrer sans inconvénient dans le système de clémence naturel au Premier Consul. Les royalistes, d’ailleurs, avaient besoin d’un avertissement, et il serait toujours temps, après l’arrestation du prince, de voir ce qu’il conviendrait de faire ; l’essentiel était de le tenir. » Cette opinion, partagée par Bonaparte, dont elle flattait les passions, entraîna toutes les voix ; l’arrestation et l’enlèvement du prince furent décidés à l’unanimité. Bonaparte signa, dans la nuit même, tous les ordres nécessaires, et, le 24 ventôse an XII (15 mars 1804), 200 soldats de la garnison de Strasbourg franchissaient le Rhin, pénétraient sur le territoire badois, cernaient, à quatre lieues de la frontière, le château d’Ettenheim, où demeurait le duc d’Enghien, en brisaient les portes, saisissaient dans son lit le malheureux prince, et l’amenaient à Strasbourg, qu’il quittait au bout de quelques heures pour être conduit à Paris, puis transféré au château de Vincennes.

« Talleyrand a été le principal instrument et la cause active de la mort du duc d’Enghien, a raconté Napoléon. Murat est celui qui a le plus insisté pour un jugement immédiat. Si vous attendez à demain, me disait-il, vous lui ferez grâce, et vous vous en repentirez. Tous étaient comme Murat. S’ils m’avaient laissé tranquille, le duc d’Enghien n’aurait pas été jugé par un conseil de guerre, ou bien j’aurais fait pour lui comme pour Moreau ; la condamnation prononcée, je lui aurais fait grâce[1]. » Bonaparte avait à subir, en effet, dans son intérieur, une double lutte : si son épouse, si la jeune Hortense, sa belle-fille, et les dames de leur société intime, cherchaient à émou-

  1. Mémorial et Récits de Sainte-Hélène, des comtes de Las-Cases et de Montholon.