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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/96

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— 1800 - 1807 —

prince de l’Église, il avait depuis longtemps foulé aux pieds sa croix pastorale, sa mitre et sa crosse ; il y a plus, donnant un spectacle que nous croyons unique à cette époque, évêque catholique, il venait de se marier. Personne n’avait donc à redouter, plus que lui, le retour des anciens princes. Intéressé dès lors à compromettre irrévocablement Bonaparte avec les Bourbons, il y réussit en dévouant le duc d’Enghien à la colère du Premier Consul. On raconte que, dans la nuit de l’exécution, se trouvant dans le salon de madame de Laval, nonchalamment étendu, selon son habitude, dans un vaste fauteuil, il entendit sonner la pendule : « Ah ! deux heures du matin ! dit-il du ton le plus calme en jetant un regard distrait sur sa montre, qu’il venait de tirer avec la plus grande lenteur ; dans ce moment le dernier des Condé a probablement vécu. » Le rôle de Fouché, dans ce sanglant drame, pour avoir été moins influent peut-être que celui de M. de Talleyrand, ne fut cependant pas moins actif : ni l’un ni l’autre, car tous deux s’en sont vantés, n’a donc pu dire à Bonaparte : « La mort du duc d’Enghien est plus qu’un crime, c’est une faute. » On ne se défie pas assez de ces sentences, toujours fabriquées après coup, et que jettent à la crédulité de la foule les charlatans politiques. Beaucoup de gens ont admiré sur parole la profondeur et la vérité du mot que M. de Talleyrand et Fouché se sont si complaisamment prêté. Le mot n’est ni vrai ni profond. L’exécution du duc d’Enghien ne fut pas une faute : la masse ne connaissait pas ce prince ; jamais elle n’avait même entendu prononcer son nom ; elle ne vit là qu’un émigré de moins. D’un autre côté, tous les intérêts issus de la Révolution et tous les hommes compromis dans les événements des douze dernières années, inquiets des bruits répandus sur un accord possible entre Bonaparte et les Bourbons, acceptèrent ce fait comme une garantie nouvelle contre le retour des frères de Louis XVI et le rétablissement de l’ancien régime. Parlerons-nous de l’indignation du parti