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Page:Verne - Claudius Bombarnac.djvu/25

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voyage, d’où ils viennent, où ils vont, n’est-ce pas un devoir de reporter, qui nécessite certaines interviews ? Je vais donc commencer par mon voisin d’en face. Cela ne sera pas difficile, j’imagine. Il ne songe ni à dormir ni à contempler le paysage que les derniers rayons du soleil couchant éclairent encore. Si je ne me trompe, il doit avoir autant l’envie de me répondre que j’ai, moi, l’envie de l’interroger — et réciproquement.

J’allais m’y mettre… Une crainte m’arrête. Pourvu que cet Américain, — je parierais qu’il l’est, — ne soit pas un chroniqueur, chroniquant pour le compte d’un World ou d’un New-York Herald, et chargé d’accompagner le train direct du Grand-Transasiatique ! Voilà qui m’enragerait ! Tout plutôt qu’un rival !

Mon hésitation se prolonge. Interrogerai-je, n’interrogerai-je pas ? Déjà la nuit est prête à venir… Enfin, je me préparais à ouvrir la bouche, lorsque mon compagnon me prévint.

« Vous êtes Français ? me dit-il dans ma langue d’origine.

— Oui, monsieur, » lui ai-je répondu dans la sienne.

Décidément, nous étions gens à nous comprendre.

La glace est brisée, et alors demandes de s’échanger de part et d’autre. On connaît ce proverbe de l’Orient :

« Un fou fait plus de questions en une heure qu’un sage pendant toute une année. »

Mais comme mon compagnon ni moi n’avons de prétention à la sagesse, nous nous abandonnons, en entremêlant nos idiomes.

« Wait a bit ! »[1] me dit mon Américain.

Je souligne cette locution, parce qu’elle reviendra fréquemment comme le coup de corde qui donne l’élan à la balançoire.

« Wait a bit ! je parierais dix contre un que vous êtes reporter ?…

— Et vous gagneriez !… Oui… reporter, envoyé par le XXe Siècle pour suivre les péripéties de ce voyage.

— Vous allez jusqu’à Pékin ?…

  1. Attendez un peu !