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Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/71

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Vaudreuil avait figuré dans le complot auquel la trahison de Simon Morgaz avait donné un dénouement si tragique, la mort de Walter Hodge, de Robert Farran et de François Clerc, l’emprisonnement des autres conjurés. Quelques années plus tard, une amnistie ayant rendu ceux-ci à la liberté, M. de Vaudreuil était revenu à son domaine de l’île Jésus.

La villa Montcalm était bâtie sur le bord du fleuve. Dans le courant du flux et du reflux, se baignaient les premiers degrés de sa terrasse antérieure, qu’une élégante véranda abritait en partie devant la façade de l’habitation. En arrière, sous les tranquilles ombrages du parc, la brise du fleuve entretenait une fraîcheur aérienne, qui rendait très supportables les chaudes journées de l’été canadien. Pour qui eût aimé la chasse ou la pêche, il y aurait eu à s’occuper du matin au soir. Le gibier abondait dans les plaines de l’île, le poisson au fond des criques du Saint-Laurent, auquel les lointaines ondulations de la chaîne des Laurentides faisaient, sur la rive gauche, un large cadre de verdure.

Là, pour des Franco-Canadiens, en ce pays resté si français, c’était comme si le Canada se fût encore appelé la Nouvelle-France. Les mœurs y étaient toujours celles du xviie siècle. Un auteur anglais, Russel, a très justement pu dire : « Le bas Canada, c’est plutôt une France du vieux temps où régnait le drapeau blanc fleurdelisé. » Un auteur français, Eugène Réveillaud, a écrit : « C’est le champ d’asile de l’ancien régime. C’est une Bretagne ou une Vendée d’il y a soixante ans, qui se prolonge au delà de l’Océan. Sur ce continent d’Amérique, l’habitant a conservé avec un soin jaloux les habitudes d’esprit, les croyances naïves et les superstitions de ses pères. » Ceci est encore vrai, à l’époque actuelle, comme il est vrai également que la race française s’est conservée très pure au Canada, et sans mélange de sang étranger.

De retour à la villa Montcalm, vers 1829, M. de Vaudreuil se trouvait dans des conditions à vivre heureux. Bien que sa fortune ne fût pas considérable, elle lui assurait une aisance, dont il aurait pu jouir en