Aller au contenu

Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme le régiment de Leib n’avait pas encore dépassé Borna, Mme Keller était restée à Belzingen. M. Jean écrivait quelquefois, autant qu’il le pouvait, sans doute. Et, malgré la réserve de ses lettres, on sentait tout ce qu’il y avait d’horrible dans sa situation.

Toutefois, si on m’avait rendu la liberté, on ne me laissait pas libre de rester en Prusse, — ce dont je ne me plaignis point, je vous prie de le croire.

En effet, un arrêté avait été pris par le gouvernement pour expulser les Français du territoire. En ce qui nous concernait, nous avions vingt-quatre heures pour quitter Belzingen, et vingt jours pour sortir d’Allemagne.

Quinze jours avant venait de paraître le manifeste de Brunswick, qui menaçait la France de l’invasion des coalisés !


XIII

Il n’y avait pas un jour à perdre. Nous avions environ cent cinquante lieues à faire avant d’atteindre la frontière de France, — cent cinquante lieues à travers un pays ennemi, sur des routes embarrassées de régiments en marche, cavaliers et fantassins, sans compter tous ces traînards qui suivent une armée en campagne. Bien que nous nous fussions assurés des moyens de transport, il pouvait arriver qu’ils nous fissent défaut en route. S’ils manquaient, nous serions dans l’obligation d’aller à pied. En tout cas, il fallait compter avec les fatigues d’un aussi long parcours. Étions-nous certains de rencontrer des auberges, d’étape en étape, pour y prendre repas ou repos ? Non, évidemment. Seul, accoutumé aux privations, aux longs cheminements, habitué à pâmer les plus vigoureux marcheurs, je n’eusse pas été gêné de me tirer d’affaire ! Mais, avec M. de Lauranay, un vieillard de soixante-dix