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Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/11

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— Ce n’est pas si ça me plaît, c’est si ça te plaît à toi !

— Ça me plaît.

— Ah ! l’appât des vingt livres ?…

— Non. L’envie de servir mon pays. Et, comme j’aurais honte de me vendre, je ne prendrai pas vos vingt livres.

— Comment te nommes-tu ?

— Natalis Delpierre.

— Eh bien, Natalis, tu me vas.

— Enchanté de vous aller, mon capitaine.

— Et si tu es d’humeur à me suivre, tu iras loin !

— On vous suivra tambour battant, mèche allumée.

— Je te préviens que je vais quitter le régiment de la Fère pour m’embarquer. Ça ne te répugne pas, la mer ?

— Aucunement.

— Bon ! tu la passeras. — Sais-tu que l’on fait la guerre là-bas pour chasser les Anglais de l’Amérique ?

— Qu’est-ce que c’est, l’Amérique ? »

En vérité, je n’avais jamais entendu parler de l’Amérique !

« Un pays au diable, répondit le capitaine de Linois, un pays qui se bat pour conquérir son indépendance ! C’est là que, depuis deux ans déjà, le marquis de Lafayette a fait parler de lui. Or, l’an dernier, le roi Louis XVI a promis le concours de ses soldats pour venir en aide aux Américains. Le comte de Rochambeau va partir avec l’amiral de Grasse et six mille hommes. J’ai formé le projet de m’embarquer avec lui pour le Nouveau-Monde, et, si tu veux m’accompagner, nous irons délivrer l’Amérique.

— Allons délivrer l’Amérique ! »

Voilà comment, sans en savoir plus long, je fus engagé dans le corps expéditionnaire du comte de Rochambeau et débarquai à New-Port en 1780.

Là, pendant trois années, je restai loin de France. Je vis le général Washington, — un géant de cinq pieds onze pouces, avec de grands pieds, de grandes mains, un habit bleu à revers chamois, une