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Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/161

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Oui ! le fond de confiance qui est en moi n’avait pas faibli, malgré tant d’épreuves. Ce n’était pas sans raison que je passais à Grattepanche pour un des plus entêtés, un des plus cabochards de toute la Picardie !

Cependant la nuit s’écoulait. Chacun à notre tour, nous deux M. Jean prenions quelque repos. Il faisait si noir, si noir sous les arbres, que le diable n’y aurait pas reconnu son jeune ! Mais il ne devait pas être loin, ce diable, avec toutes ses embûches ! Comment n’est-il pas encore fatigué de faire tant de misères au pauvre monde !

Pendant que j’étais de faction, j’écoutais, l’oreille toujours tendue au vent. Le moindre bruit me semblait suspect. Il y avait à craindre, au milieu de ces bois, sinon les soldats de l’armée régulière, du moins les traînards. Nous l’avions bien vu dans l’affaire des Buch père et fils.

Par malheur, deux de ces Buch nous avaient échappé. Aussi, leur premier soin devait-il être de chercher à nous reprendre, et, pour y réussir, de s’adjoindre quelques gueux de leur espèce, quitte à partager la prime de mille florins !

Oui ! je songeais à tout cela, — ce qui me tenait en éveil. Je pensais, en outre, que, dans le cas où le régiment de Leib aurait quitté Francfort vingt-quatre heures après nous, il devait avoir franchi la frontière. Ne pouvait-il être alors dans le voisinage, au milieu des bois de l’Argonne ?

Ces appréhensions étaient exagérées, sans doute. Et n’en est-il pas toujours ainsi, quand le cerveau est surexcité. C’était bien mon cas. Je croyais entendre marcher sous les arbres. Il me semblait voir des ombres se glisser derrière les taillis. Il va sans dire que si M. Jean était armé de l’un de nos pistolets, j’avais l’autre à ma ceinture, et nous étions bien résolus à ne nous laisser approcher de personne.

En somme, cette nuit se passa sans alertes. Plusieurs fois, il est vrai, nous entendîmes de lointains appels de trompettes, et même le roulement des tambours, qui, vers le matin, battirent la diane.