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Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/197

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aller vite. On s’embourbait fréquemment. Et, lorsque les Prussiens se trouveraient en face de Dumouriez, il était permis d’espérer que les Français seraient déjà adossés aux Islettes.

Nous allâmes ainsi jusqu’à dix heures du soir. Les vivres étaient à peine distribués, et, s’ils manquaient aux Prussiens, on juge ce qu’il pouvait en rester aux deux prisonniers qu’ils traînaient comme des bêtes !

M. Jean et moi, nous pouvions à peine nous parler. D’ailleurs, chaque propos échangé nous valait quelque bourrade. Ces gens-là sont véritablement d’une race cruelle. Sans doute, ils voulaient plaire au lieutenant Frantz von Grawert, et ils n’y réussissaient que trop !

Cette nuit du 19 au 20 septembre fut une des plus pénibles que nous eussions passées jusqu’alors. C’était à regretter nos haltes sous les taillis de l’Argonne, quand nous n’étions encore que des fugitifs. Enfin, avant le jour, on avait atteint sur la gauche de Sainte-Menehould une sorte de terrain marécageux. Le campement y fut installé dans deux pieds de boue. Aucun feu n’avait été allumé, parce que les Prussiens ne voulaient pas signaler leur présence.

Une odeur infecte s’élevait de cette masse d’hommes entassés. Comme on dit, on en aurait plus pris avec le nez qu’avec une pelle !

Enfin le jour reparut, — ce jour où se livrerait, sans doute, la bataille. Le Royal-Picardie était là peut-être, et je ne serais pas dans le rang, au milieu de mes camarades !

Il se faisait un grand mouvement d’allées et venues à travers le cantonnement. Des estafettes, des aides de camp, traversaient à chaque instant le marécage. Les tambours battaient, les trompettes sonnaient. On entendait aussi quelques coups de feu sur la droite…

Enfin ! Les Français avaient devancé les Prussiens à Sainte-Menehould !

Il était près de onze heures, quand une escouade de soldats vint nous chercher, M. Jean et moi. Tout d’abord, on nous conduisit