Aller au contenu

Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Harry Rhodes. Ils se rendraient un compte plus exact de leur situation quand elle leur aurait été exposée par vous.

— Je préfère que vous vous chargiez de ce soin, répliqua le Kaw-djer. Mais je reste, bien entendu, à la disposition de tous, si on a besoin de moi. »

Harry Rhodes s’empressa de rapporter cette conversation aux émigrants. À sa grande surprise, ils ne reçurent pas la communication aussi mal qu’on aurait pu s’y attendre. La déception qu’ils venaient d’éprouver avait semé parmi eux le découragement, et ils étaient trop heureux de se trouver en présence d’une besogne précise dont quelqu’un prenait la responsabilité de garantir les bons effets. L’invincible espoir qui sommeille jusqu’à la mort dans le cœur de l’homme faisait le reste. Tout autre changement eût également paru devoir être le salut. On se fit une fête de l’installation à la baie Scotchwell et l’on s’en promit des merveilles.

Seulement, par quel bout commencer ? Quels moyens employer pour mener à bien le transport du matériel sur un parcours de deux milles, le long de cette grève rocheuse où n’existait même pas l’apparence d’un sentier ? À la prière générale, Harry Rhodes dut retourner auprès du Kaw-djer, pour lui demander de bien vouloir organiser le travail dont il avait signalé l’urgence.

Celui-ci ne fit aucune difficulté pour obtempérer à ce désir, et, sous sa direction, on se mit à l’œuvre sur-le-champ.

On créa d’abord, à la limite des plus hautes marées, un rudiment de route, en aplanissant le sol autour des roches les plus grosses, et en écartant celles qu’il était possible de déplacer sans trop de peine. Dès le 20 avril ce travail préliminaire était terminé. On s’attaqua aussitôt au transport proprement dit.

On utilisa dans ce but les plates-formes créées pour le déchargement du Jonathan. Fractionnées en plateaux plus petits et munies, en guise de roues, de troncs d’arbres soigneusement arrondis et dressés, elles fournirent un grand nombre de véhicules primitifs, auxquels s’attelèrent les émigrants, hommes, femmes et enfants. Bientôt, la longue théorie de ces chariots grossiers traînés par leurs attelages humains s’égrena sur le rivage entre la falaise et la mer. Le spectacle ne manquait pas de pittoresque. Que de cris s’échappaient de ces douze cents poitrines haletantes !