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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/114

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IV

hivernage.

Quinze jours durant, la tempête hurla sans interruption, la neige tomba en épais flocons. Pendant ces deux semaines, les émigrants, contraints de se terrer sous leurs abris, purent à peine se risquer en plein air.

Triste pour tous, cette claustration forcée, assurément, mais plus peut-être pour ceux qui s’étaient attribué la jouissance des maisons démontables. Ces maisons n’étaient formées, en somme, que de panneaux boulonnés entre eux et manquaient du plus élémentaire confortable. Pourtant, séduits par leur aspect — à moins que ce fût seulement par ce nom de maisons ! — les émigrants se les étaient disputées, et maintenant ils s’y entassaient au-delà de toute raison. Elles étaient transformées en véritables dortoirs, où se touchaient les paillasses jetées à même sur le parquet, dortoirs qui devenaient salles communes et cuisine pendant les courtes heures de jour. De cet entassement, de cette cohabitation de plusieurs ménages résultait nécessairement une promiscuité de tous les instants, aussi fâcheuse au point de vue de l’hygiène, que défavorable au maintien de la bonne entente. Le désœuvrement et l’ennui sont, en effet, fertiles en disputes, et l’on s’ennuyait ferme dans ces demeures bloquées par la neige.

À vrai dire, les hommes trouvaient encore à occuper leurs loisirs. Ils s’ingéniaient à meubler grossièrement ces maisons dépourvues du plus petit commencement de mobilier. À coups de hachettes, ils taillaient sièges et tables dont on se débarrassait, la nuit venue, afin de pouvoir étendre les paillasses. Mais les femmes ne disposaient pas de cette ressource. Quand elles avaient donné leurs soins aux enfants, quand elles avaient vaqué à la cuisine que l’usage des conserves simplifiait notable-