Aller au contenu

Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semaines s’écouleraient donc encore, dans ce cas, avant que l’île fût évacuée.

Ainsi qu’on peut se l’imaginer, la proposition du gouvernement de Santiago produisit un effet extraordinaire.

On ne s’attendait à rien de pareil. Les émigrants, incapables de prendre une décision dans une si grave occurrence, commencèrent par se regarder les uns les autres avec ahurissement, puis toutes leurs pensées s’envolèrent à la fois vers celui qu’on estimait le plus capable de discerner l’intérêt commun. D’un même mouvement, dont le parfait ensemble prouvait à la fois leur reconnaissance, leur clairvoyance et leur faiblesse, ils se retournèrent vers l’Ouest, c’est-à-dire vers le creek à l’embouchure duquel devait se balancer la Wel-Kiej.

Mais la Wel-Kiej avait disparu. Si loin que pussent atteindre les regards, nul ne l’aperçut à la surface de la mer.

Il y eut un instant de stupeur. Puis des ondulations parcoururent la foule. Chacun s’agitait, se penchant, cherchant à découvrir celui dans lequel tous mettaient leur espoir. Il fallut bien enfin se rendre à l’évidence. Emmenant avec lui Halg et Karroly, le Kaw-djer décidément était parti.

On fut atterré. Ces pauvres gens avaient pris l’habitude de s’en remettre du soin de les conduire sur le Kaw-djer, dont ils n’en étaient plus à connaître l’intelligence et le dévouement. Et voilà qu’il les abandonnait au moment où se jouait leur destinée ! Sa disparition ne produisit pas moins d’effet que l’apparition du navire dans les eaux de l’île Hoste.

Harry Rhodes, pour des motifs différents, fut aussi profondément affligé. Il aurait compris que le Kaw-djer abandonnât l’île Hoste le jour où les émigrants s’en éloigneraient, mais pourquoi ne pas avoir attendu jusque-là ? On ne rompt pas avec cette brusquerie des liens de sincère amitié, et l’on ne se quitte pas s’en s’être dit adieu.

D’un autre côté, pourquoi ce départ précipité qui ressemblait à une fuite ? Était-ce donc l’arrivée du bâtiment chilien qui l’avait provoqué ?…

Toutes les hypothèses étaient admissibles, étant donné le mystère qui entourait la vie de cet homme, dont on ne connaissait même pas la nationalité.

L’absence de leur conseiller ordinaire, au moment où ses