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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/172

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l’île Hoste, quarante-huit heures après le départ de l’aviso. Nul ne parut se souvenir qu’elle l’eût quittée pendant deux semaines, et ceux qu’elle portait reçurent le même accueil que s’ils ne se fussent jamais absentés. Le Kaw-djer ne comprit rien à ce qu’il voyait. Que signifiaient ce pavillon inconnu planté sur la grève et la joie générale qui semblait transporter les émigrants ?

Harry Rhodes et Hartlepool le mirent, en quelques mots, au courant des derniers événements. Le Kaw-djer écouta ce récit avec émotion. Sa poitrine se dilatait comme si un air plus pur fût arrivé à ses poumons, son visage était transfiguré. Il existait donc encore une terre libre dans l’archipel magellanique !

Toutefois il ne rendit pas confidence pour confidence et demeura muet sur les motifs qui l’avaient déterminé à s’éloigner pendant quinze jours. À quoi bon ? Fût-il parvenu à faire comprendre à Harry Rhodes pourquoi, résolu à rompre toute relation avec l’univers civilisé, il était parti en apercevant l’aviso qu’il supposait chargé d’affirmer l’autorité du gouvernement chilien, et pourquoi, abrité au fond d’une baie de la presqu’île Hardy, il avait attendu le départ de cet aviso avant de revenir au campement ?

Trop heureux de le retrouver, ses amis, d’ailleurs, ne l’interrogèrent pas. Pour Harry Rhodes et Hartlepool, sa présence était un réconfort. Avoir avec eux cet homme à l’énergie froide, à la vaste intelligence, à la parfaite bonté, leur rendait une confiance que l’enfantillage dont faisaient preuve leurs compagnons commençait à ébranler.

« Les malheureux n’ont vu dans leur indépendance, dit Harry Rhodes en achevant son récit, que le droit de se griser. Ils n’ont pas l’air de penser à la nécessité de s’organiser et d’installer un gouvernement quelconque.

— Bah ! répliqua le Kaw-djer avec indulgence, ils sont excusables de se payer du bon temps. Ils en ont eu si peu jusqu’ici ! Cet affolement passera et ils en arriveront d’eux-mêmes aux choses sérieuses… Quant à constituer un gouvernement, j’avoue que je n’en vois pas l’utilité.

— Il faut bien, pourtant, objecta Harry Rhodes, que quelqu’un se charge de mettre de l’ordre dans tout ce monde-là.

— Laissez donc ! répondit le Kaw-djer. L’ordre se mettra tout seul.