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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/187

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tant qu’on peut faire autrement. L’élève du Kaw-djer faisait, on le voit, honneur à son maître.

Tandis qu’une partie des colons s’efforçaient d’utiliser ainsi leur temps, d’autres vivaient dans la plus complète oisiveté. Pour les uns, un tel abandon de soi n’avait rien que de normal. Qu’eussent pu faire Fritz Gross et John Rame, le premier réduit à un véritable gâtisme par l’abus des boissons alcooliques, le second aussi ignorant qu’un petit enfant des réalités de la vie ?

Kennedy et Sirdey n’avaient pas ces excuses, et pourtant ils ne travaillaient pas davantage. Se fiant à leur expérience de l’hiver précédent, ils étaient restés sur l’île Hoste avec la perspective d’y vivre dans l’oisiveté aux dépens d’autrui, et ils entendaient n’en pas avoir le démenti. Pour le moment, tout se passait conformément à leurs désirs. Ils n’en demandaient pas davantage et laissaient le temps couler sans s’inquiéter de l’avenir.

Désœuvrés étaient également Dorick et Beauval. Mal préparés tous deux par leurs occupations antérieures aux conditions très spéciales de leur vie présente, ils étaient fort désorientés. Sur une île vierge, au milieu d’une nature rude et sauvage, les connaissances d’un ancien avocat et d’un ex-professeur de littérature et d’histoire sont d’un bien faible secours.

Ni l’un ni l’autre n’avait prévu ce qui était arrivé. L’exode, logique pourtant, de la grande majorité de leurs compagnons, les avait surpris comme une catastrophe et bouleversait leurs projets, d’ailleurs assez confus. Cette exode coûtait à Dorick sa clientèle de trembleurs, à Beauval un public, c’est-à-dire cet ensemble d’êtres que les politiciens de profession désignent parfois, sans avoir conscience du cynisme involontaire de l’expression, sous le nom plaisant de « matière électorale ».

Après deux mois de découragement, Beauval commença cependant à se ressaisir. S’il avait manqué d’esprit de décision, si les choses, échappant à sa direction, s’étaient réglées d’elles-mêmes sans qu’il eût à intervenir, cela ne voulait pas dire que tout fût perdu. Ce qui n’avait pas été fait pouvait l’être encore. Les Hosteliens ayant négligé de se donner un chef, la place était toujours libre. Il n’y avait qu’à la prendre.

La pénurie d’électeurs n’était pas un obstacle au succès. Au contraire, la campagne serait plus facile à mener dans