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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/205

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consiste donc à m’enquérir de vos projets. Je vous apporte un traité d’alliance…

— Ou une déclaration de guerre ?

— Précisément. Votre influence, que nous ne contestons pas, nous sera-t-elle hostile, ou la mettrez-vous au service de notre œuvre de civilisation ? Serez-vous notre allié ou notre adversaire ? À vous d’en décider.

— Ni l’un, ni l’autre, dit le Kaw-djer. Un indifférent.

Le commandant hocha la tête d’un air de doute.

— Étant donné votre situation particulière dans l’archipel, dit-il, la neutralité me paraît d’une application difficile.

— Très facile, au contraire, répliqua le Kaw-djer, pour cette excellente raison que j’ai quitté la Magellanie sans esprit de retour.

— Vous avez quitté ?… Ici, cependant…

— Ici, je suis sur l’île Hoste, terre libre et je suis résolu à ne pas retourner dans la partie de l’archipel qui ne l’est plus.

— Vous comptez, par conséquent, vous fixer sur l’île Hoste ? »

Le Kaw-djer approuva du geste.

— Cela simplifie les choses, en effet, dit le commandant avec satisfaction. Je puis donc emporter l’assurance que mon gouvernement ne vous aura pas contre lui ?

— Dites à votre gouvernement que je l’ignore », répondit le Kaw-djer, qui souleva son bonnet et reprit sa marche.

Un instant, le commandant le suivit des yeux. Malgré l’affirmation de son interlocuteur, il n’était pas convaincu que la ressemblance qu’il avait cru découvrir fût imaginaire, et cette ressemblance devait avoir, d’une manière ou d’une autre, quelque chose d’extraordinaire pour le troubler aussi profondément.

« C’est étrange », murmurait-il à demi-voix, tandis que, sans tourner la tête, le Kaw-djer s’éloignait d’un pas tranquille.

Le commandant n’eut plus l’occasion de vérifier le bien-fondé de ses soupçons, car le Kaw-djer ne se prêta pas à une seconde entrevue. Comme s’il eût redouté de donner prétexte à une investigation quelconque dans sa vie passée, il disparut le soir du même jour et partit pour une de ses randonnées coutumières à travers l’île.

Le commandant dut donc se borner à effectuer le déchargement de son navire, travail qui fut accompli en une semaine.