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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/227

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années et des années au milieu des pires douleurs, elle n’avait vécu que pour aimer, aimer malgré tout celui qui l’abandonnait à mi-côte du calvaire de la vie. Le ressort qui l’avait soutenue étant maintenant brisé, elle s’affaissait, lasse de son inutile effort.

Le Kaw-djer emmena la pauvre femme au Bourg-Neuf, près de Graziella. S’il existait un remède capable de guérir ce cœur déchiré, l’amour maternel accomplirait le miracle.

Inerte, à demi-inconsciente, Tullia se laissa conduire et, chargée de ses humbles richesses, quitta docilement sa maison.

Dans cet état de profond anéantissement, comment eût-elle aperçu Sirk, qu’elle croisa au moment d’atteindre le ponceau réunissant les deux rives ?

Le Kaw-djer ne l’aperçut pas davantage. Ignorants de la rencontre, tout deux passèrent en silence.

Mais Sirk les avait vus, lui, et s’était arrêté sur place, le visage pâli par une soudaine fureur. Lazare Ceroni mort, Graziella réfugiée au Bourg-Neuf, Tullia allant s’y fixer à son tour, c’était, il le comprenait, la ruine définitive de ses projets si âprement poursuivis. Longtemps, il suivit des yeux cet homme et cette femme qui s’éloignaient côte à côte. Si le Kaw-djer s’était retourné, il aurait surpris ce regard et peut-être, malgré son courage, eût-il alors connu la peur.