Aller au contenu

Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/263

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autres, ils appartenaient aux clans de Beauval et de Dorick, et le parti du travail et de l’ordre ne pouvait qu’être fortifié par leur disparition.

Les dommages les plus sérieux avaient été soufferts, en effet, par les émeutiers eux-mêmes, acharnés dans l’attaque comme dans la défense. Parmi les curieux inoffensifs qu’ils avaient assaillis avec tant de sauvagerie après l’incendie du « palais », tout se réduisait, hormis le colon assassiné, à des blessures : contusions, fractures, voire quelques coups de couteau, qui fort heureusement ne mettaient en danger la vie de personne.

C’était de la besogne pour le Kaw-djer. Il n’en fut pas effrayé. Ce n’est pas en aveugle qu’il avait pris en charge l’existence d’un millier d’êtres humains, et, quelle que fût la grandeur de la tâche, elle ne serait pas au-dessus de son courage.

Les blessés examinés, pansés quand il y avait lieu, et enfin dirigés sur leurs demeures habituelles, le terre-plein fut complètement vide. Y laissant cinq hommes en surveillance, le Kaw-djer reprit, avec les dix autres, le chemin du Bourg-Neuf. Là-bas, un autre devoir l’appelait ; là-bas, il y avait Halg, mourant, mort peut-être…

Halg était dans le même état, et les soins intelligents ne lui manquaient pas. Graziella et sa mère étaient accourues rejoindre Karroly au chevet du blessé, et l’on pouvait compter sur le dévouement de telles gardes-malades. Élevée à une rude école, la jeune fille y avait appris à commander à sa douleur. Elle montra au Kaw-djer un visage tranquille et répondit avec calme à ses questions. Halg, ainsi qu’elle le lui dit, n’avait que peu de fièvre, mais il ne sortait de sa continuelle somnolence que pour pousser de temps à autre quelques faibles gémissements. Une mousse sanguinolente coulait toujours entre ses lèvres pâlies. Toutefois, elle était moins abondante et sa coloration moins prononcée. Il y avait là un symptôme favorable.

Pendant ce temps, les dix hommes qui avaient accompagné le Kaw-djer s’étaient chargés de vivres prélevés sur la réserve du Bourg-Neuf. Sans s’accorder un instant de repos, on repartit pour Libéria, où on alla de porte en porte donner à chacun sa ration. La répartition terminée, le Kaw-djer distribua la garde pour la nuit, puis, s’enroulant dans une couverture, il s’étendit sur le sol et chercha le sommeil.