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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/289

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tête nue, les cheveux emmêlés par la brise, se tenait droit devant lui, sans baisser ses yeux brillants. Il se reconnaissait dans cette nature généreuse mais excessive. Lui aussi avait par-dessus tout aimé la liberté, lui aussi s’était montré impatient de toute entrave, et la contrainte lui avait paru si haïssable qu’il avait prêté à l’humanité entière ses répugnances. L’expérience lui avait démontré son erreur, en lui donnant la preuve que les hommes, loin d’avoir l’insatiable besoin de liberté qu’il leur supposait, peuvent aimer, au contraire, un joug qui les fait vivre, et qu’il est bon parfois que les enfants grands et petits aient un maître.

Il répliqua :

— La liberté, il faut d’abord la gagner, mon garçon, en se rendant utile aux autres et à soi-même, et, pour cela, il est nécessaire de commencer par obéir. Vous irez trouver Hartlepool de ma part, et vous lui direz qu’il vous emploie selon vos forces. Je veillerai, d’ailleurs, à ce que Sand puisse continuer à travailler sa musique. Allez, mes enfants ! »

Cette rencontre attira l’attention du Kaw-djer sur un problème qu’il importait de résoudre. Les enfants pullulaient dans la colonie. Désœuvrés, loin de la surveillance des parents, ils vagabondaient du matin au soir. Pour fonder un peuple, il fallait préparer les générations futures à recueillir la succession de leurs devanciers. La création d’une école s’imposait à bref délai.

Mais on ne saurait tout faire à la fois. Quelle que fût l’importance de cette question, il en remit l’examen à son retour d’une tournée qu’il désirait accomplir dans l’intérieur de l’île. Depuis qu’il avait assumé la charge du pouvoir, il projetait ce voyage d’inspection, que de plus pressants soucis l’avaient forcé à remettre de jour en jour. Maintenant, il pouvait s’éloigner sans imprudence. La machine avait reçu une impulsion suffisante pour fonctionner toute seule pendant quelque temps.

Deux jours après l’arrivée de Karroly, il allait enfin partir, quand un incident l’obligea à un nouveau retard. Un matin, son attention fut attirée par le bruit d’une altercation violente. S’étant dirigé du côté d’où venait le vacarme, il aperçut une centaine de femmes discutant avec animation devant une clôture de forts madriers qui leur barrait la route. Le Kaw-djer ne comprit pas tout d’abord. Cette clôture, c’était celle qui limitait