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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/313

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que ses soupçons pussent s’égarer hors d’un cercle assez restreint. Ferdinand Beauval, malgré ses nouvelles fonctions ?… Peut-être, à la rigueur. Lewis Dorick ?… Plus probablement. En tous cas, quelqu’un de ceux qui évoluaient dans leurs sillages. Le Kaw-djer fit du regard le tour de la salle et remarqua le trou pratiqué dans la cloison. L’aventure était limpide. Ce tonneau, on l’avait dérobé dans l’entrepôt, amené où il se trouvait maintenant, puis le coupable s’était enfui, après avoir allumé la mèche qui devait provoquer la déflagration de la poudre… Mais, contrairement à l’espoir du criminel, l’explosion ne s’était pas produite. La mèche, après avoir brûlé sur les deux tiers de sa longueur, s’était éteinte au contact d’une flaque d’eau qui recouvrait son dernier tiers.

D’où venait cette eau ? Pour le savoir, le Kaw-djer n’eut qu’à lever la tête. Elle était venue du ciel, par une fissure du toit, à travers le plafond fait de planches à peine assemblées. Entre deux lames disjointes, des traces d’humidité étaient visibles. De là, l’eau était tombée goutte à goutte, jusqu’à former cette flaque qui avait opposé au feu une infranchissable barrière.

Le Kaw-djer ne put réprimer un frisson, sinon pour lui-même, du moins pour ceux que le gouvernement abritait avec lui, c’est-à-dire pour Hartlepool, qui y avait élu domicile avec ses deux enfants adoptifs, et pour les hommes de garde la nuit précédente. Leur vie n’avait dépendu que d’une circonstance fortuite. Sans l’orage qui avait éclaté aux premières lueurs de l’aube, tous seraient morts à l’heure actuelle.

Réflexions faites, le Kaw-djer jugea préférable de tenir secrète cette tentative avortée. Il n’avait nul besoin de ce surcroît de popularité, et mieux valait, en dernière analyse, ne pas jeter le trouble dans cette population paisible.

Tirant la porte derrière lui, il alla réveiller Hartlepool, qu’il conduisit au Tribunal et qu’il mit au courant des événements. Hartlepool fut atterré. Pas plus que son chef, il ne pouvait désigner les coupables, mais, pas plus que lui, il n’hésitait sur les noms de ceux qu’il était logique de suspecter.

Le Kaw-djer ayant résolu de ne pas ébruiter cette affaire, il lui fallait boucher l’ouverture de la cloison sans aucun concours étranger. Hartlepool partit donc à la recherche des matériaux nécessaires, tandis que le Kaw-djer transportait le baril de