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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/352

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de l’eau baissa peu à peu, et enfin, le 5 novembre, un mois jour pour jour après le commencement du dégel, la rivière reprit son lit habituel.

Mais quels ravages le phénomène laissait après lui ! Les rues de Libéria étaient ravinées comme si la charrue y avait passé. Des routes, emportées par endroits, et recouvertes en d’autres points par une épaisse couche de boue, il ne restait que des vestiges.

On s’occupa tout d’abord de rétablir les communications supprimées. Construite en plein marécage, la route qui conduisait au Bourg-Neuf était celle qui avait subi les plus sérieux dommages. Ce fut elle aussi qui revint au jour la dernière. Plus de trois semaines furent nécessaires pour rendre le passage de nouveau praticable.

À la surprise générale, la première personne qui l’utilisa fut précisément Patterson. Aperçu par les pêcheurs du Bourg-Neuf, au moment où, désespérément cramponné à un morceau de bois, il arrivait à la mer, l’Irlandais avait eu la chance d’être sorti sain et sauf de ce mauvais pas. Par contre, Long n’avait pas eu le même bonheur. Toutes les recherches faites pour retrouver son corps étaient restées infructueuses.

Ces renseignements, on les eut ultérieurement des sauveteurs, mais non de Patterson, qui, sans donner la plus mince explication, s’était rendu en droite ligne à l’ancien emplacement de sa maison. Quand il vit qu’il n’en subsistait aucune trace, son désespoir fut immense. Avec elle, disparaissait tout ce qu’il avait possédé sur la terre. Ce qu’il avait apporté à l’île Hoste, ce qu’il avait accumulé depuis, à force de labeur, de privations, d’impitoyable dureté envers les autres et envers lui-même, tout était perdu sans retour. À lui, dont l’or était l’unique passion, dont le seul but avait toujours été d’amasser et d’amasser plus encore, il ne restait rien, et il était le plus pauvre parmi les plus pauvres de ceux qui l’entouraient. Nu et démuni de tout comme en arrivant sur la terre, il lui fallait recommencer sa vie.

Quel que fût son accablement, Patterson ne se permit ni gémissements, ni plaintes. En silence, il médita d’abord, les yeux fixés sur la rivière qui avait emporté son bien, puis il alla délibérément trouver le Kaw-djer. L’ayant abordé avec une humble politesse, et après s’être excusé de la liberté grande, il exposa que