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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/411

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Dès lors, il ne connut plus le repos. Angoissé, ne vivant que pour haïr, hésitant entre cent hypothèses, il attendit dans une impatience fébrile que la vérité lui fût révélée. Mais ceux qui le tenaient ne se souciaient guère de sa rage impuissante. Les jours s’ajoutèrent aux jours, sans que sa situation fût modifiée. On semblait l’avoir oublié.

Ce fut seulement le 31 décembre, plus d’une semaine après son incarcération, que, sous la garde de quatre hommes armés, il sortit enfin de la prison. Il allait donc savoir !… En arrivant sur la place du gouvernement, Patterson s’arrêta, interdit.

Le spectacle était imposant, en effet, le Kaw-djer ayant voulu entourer de solennité le jugement qu’on allait rendre contre le traître. Les circonstances venaient de lui démontrer quelle force donne à une collectivité la communauté des sentiments et des intérêts. Les Patagons auraient-ils été repoussés avec cette facilité, si chacun, au lieu de se plier à des lois générales, avait tiré de son côté et n’en avait fait qu’à sa tête ? Il cherchait à donner une impulsion nouvelle à ce sentiment naissant de solidarité, en flétrissant avec apparat un crime commis contre tous. On avait adossé au gouvernement une estrade élevée sur laquelle prirent place, outre le Kaw-djer, les trois membres du Conseil et le juge titulaire Ferdinand Beauval. Au pied du tribunal, une place était réservée pour l’accusé. En arrière, contenue par des barrières, se pressait la population entière de Libéria.

Lorsque Patterson apparut, un immense cri de réprobation jaillit de ces centaines de poitrines. Un geste du Kaw-djer imposa le silence. L’interrogatoire de l’accusé commença.

L’Irlandais eut beau nier systématiquement. Il était trop facile de le convaincre de mensonge. Les unes après les autres, le Kaw-djer énuméra les charges qui pesaient sur lui. D’abord, la présence de Sirdey parmi les Patagons. Sirdey avait été aperçu, en effet, et d’ailleurs sa présence n’était pas douteuse, puisque les Indiens, furieux de leur échec, avaient arboré sa tête comme un trophée de vengeance.

À la nouvelle de la mort de son complice, Patterson tressaillit. Cette mort, c’était pour lui un funèbre présage.

Le Kaw-djer continua son réquisitoire.

Non seulement Sirdey était parmi les Patagons, mais il s’était abouché avec Patterson, et c’est à la suite d’un accord conclu