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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/418

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perdu sur les récifs de la presqu’île Hardy. Tel était le résultat obtenu en ces quelques années, grâce à l’énergie, à l’intelligence, à l’esprit pratique de l’homme qui avait pris en charge la destinée des Hosteliens, alors que l’anarchie menait l’île à sa ruine. De cet homme, on continuait à ne rien savoir, mais personne ne songeait à lui demander compte de son passé. La curiosité publique, si tant est qu’elle eût jamais existé, s’était émoussée par l’habitude, et l’on se disait avec raison que, pour ne pas ignorer ce qu’il était essentiel de connaître, il suffisait de se souvenir des innombrables services rendus.

Les accablants soucis de ces neuf ans de pouvoir pesaient lourdement sur le Kaw-djer. S’il conservait intacte sa vigueur herculéenne, si la fatigue de l’âge n’avait pas fléchi sa stature quasi gigantesque, sa barbe et ses cheveux avaient maintenant la blancheur de la neige et des rides profondes sillonnaient son visage toujours majestueux et déjà vénérable.

Son autorité était sans limite. Les membres qui composaient le Conseil dont il avait lui-même provoqué la formation, Harry Rhodes, Hartlepool et Germain Rivière, régulièrement réélus à chaque élection, ne siégeaient que pour la forme. Ils laissaient à leur chef et ami carte blanche, et se bornaient à donner respectueusement leur avis quand ils en étaient priés par lui.

Pour le guider dans l’œuvre entreprise, le Kaw-djer, d’ailleurs, ne manquait pas d’exemples. Dans le voisinage immédiat de l’île Hoste, deux méthodes de colonisation opposées étaient concurremment appliquées. Il pouvait les comparer et en apprécier les résultats.

Depuis que la Magellanie et la Patagonie avaient été partagées entre le Chili et l’Argentine, ces deux États avaient très diversement procédé pour la mise en valeur de leurs nouvelles possessions. Faute de bien connaître ces régions, l’Argentine faisait des concessions comprenant jusqu’à dix ou douze lieues carrées, ce qui revenait à décréter qu’il y avait lieu de les laisser en friche. Quand il s’agissait de ces forêts qui comptent jusqu’à quatre mille arbres à l’hectare, il aurait fallu trois mille ans pour les exploiter. Il en était de même pour les cultures et les pâturages, trop largement concédés, et qui eussent nécessité un personnel, un matériel agricole et, par suite, des capitaux trop considérables.