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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/446

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à profit. En quinze jours, elle fut réduite, de trois cents hommes, à moins de cinquante.

En dépit de son indomptable énergie, le Kaw-djer fut alors profondément découragé. À lui qui, poussé par une irrésistible passion du bien, s’était rattaché à l’humanité après une si longue rupture, voici qu’elle se dévoilait cyniquement et montrait à nu tous ses défauts, toutes ses hontes, tous ses vices ! Ce qu’il avait bâti avec tant de peine croulait en un instant, et, parce que le hasard avait fait jaillir quelques parcelles d’or d’un éclat de roche, les ruines allaient s’accumuler sur cette malheureuse colonie.

Lutter, il ne le pouvait même plus. Les plus fidèles le quittaient comme les autres. Ce n’est pas avec la poignée d’hommes dont il disposait encore, et qui l’abandonneraient peut-être demain, qu’il ramènerait à la raison une multitude égarée.

Le Kaw-djer revint à Libéria. Il n’y avait rien à faire. Comme un torrent dévastateur, le fléau s’était répandu à travers l’île et la ravageait tout entière. Il fallait attendre qu’il eût épuisé sa violence.

On put croire un instant que ce moment était arrivé. Vers la mi-décembre, quinze jours après le retour du Kaw-djer au gouvernement, quelques rares Libériens commencèrent à regagner la capitale. Les jours suivants, le mouvement s’accentua. Pour un colon qui se mettait tardivement en campagne, deux rentraient et reprenaient, l’oreille basse, leurs occupations antérieures.

Deux causes motivaient ces revirements. En premier lieu, le métier de prospecteur était moins facile à exercer qu’on ne l’avait supposé. Briser la roche à coups de pic ou laver des sables du matin au soir sont des besognes pénibles que l’espoir d’un gain rapide permet seul de supporter. Or, il n’avait pas suffi de se baisser pour ramasser des pépites, ainsi qu’on se l’était imaginé. Pour quelques-uns que leur heureuse étoile avait conduits sur une poche, on en comptait des centaines auxquels le métier de prospecteur, bien qu’infiniment plus dur que leur travail habituel, avait rapporté beaucoup moins. Sur la foi des racontars, on avait attribué aux gisements une richesse incalculable. Il fallait en rabattre. Qu’il y eût de l’or sur l’île Hoste, cela n’était pas contestable, mais on ne l’y ramassait pas à la pelle, comme