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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/510

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lantes, c’était du quartz aurifère. Peut-être contenait-elle toute une fortune que les ouvriers n’avaient pas su reconnaître. Elle gisait là, délaissée comme un bloc sans valeur.

Ainsi le métal maudit le poursuivait jusque-là !… Il revit les désastres qui s’étaient abattus sur l’île Hoste, l’affolement de la colonie, l’envahissement des aventuriers accourus de tous les coins du monde, la faim,… la misère,… la ruine…

Du pied, il poussa l’énorme pépite dans l’abîme, puis, haussant les épaules, il s’avança jusqu’à l’extrême pointe du cap.

Derrière lui se dressait le pylône métallique portant à son sommet le lanterneau, d’où, pour la première fois, allait jaillir tout à l’heure un puissant rayon qui montrerait la bonne route aux navires.

Le Kaw-djer, face à la mer, parcourut des yeux l’horizon.

Un soir, il était déjà venu à cette fin du monde habitable. Ce soir-là, le canon du Jonathan en détresse tonnait lugubrement dans la tempête. Quel souvenir !… Il y avait treize ans de cela !

Mais, aujourd’hui, l’étendue était vide. Autour de lui, si loin qu’allât son regard, partout, de tous côtés, il n’y avait rien que la mer. Et, quand bien même il eût franchi la barrière de ciel qui limitait sa vue, nulle vie ne lui fût encore apparue. Au-delà, très loin, dans le mystère de l’Antarctique, c’était un monde mort, une région de glace où rien de ce qui vit ne saurait subsister.

Il avait donc atteint le but, et tel était le refuge. Par quel sinistre chemin y avait-il été conduit ? Il n’avait pas souffert, pourtant, des douleurs coutumières des hommes. Lui-même était l’auteur et la victime de ses maux. Au lieu d’aboutir à ce rocher perdu dans un désert liquide, il n’eût tenu qu’à lui d’être un de ces heureux qu’on envie, un de ces puissants devant lesquels les fronts se courbent. Et cependant il était là !…

Nulle part ailleurs, en effet, il n’aurait eu la force de supporter le fardeau de la vie. Les drames les plus poignants sont ceux de la pensée. Pour qui les a subis, pour qui en sort, épuisé, désemparé, jeté hors des bases sur lesquelles il a fondé, il n’est plus de ressource que la mort ou le cloître. Le Kaw-djer avait choisi le cloître. Ce rocher, c’était une cellule aux infranchissables murs de lumière et d’espace.

Sa destinée en valait une autre, après tout. Nous mourons,