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Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/66

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regards fixés sur le Kaw-djer, comme s’ils eussent attendu un mot d’ordre de cet inconnu dont l’intervention leur avait déjà été si profitable. Celui-ci ne montrant aucune velléité d’interrompre la conversation qu’il soutenait avec le maître d’équipage, l’un de ces émigrants se détacha enfin d’un groupe de quatre personnes, parmi lesquelles figuraient deux femmes, et se dirigea vers les causeurs. À l’expression de son visage, à sa démarche, à mille signes impalpables, il était aisé de reconnaître que cet homme, âgé d’environ cinquante ans, appartenait à une classe supérieure au milieu dans lequel il se trouvait placé.

« Monsieur, dit-il en abordant le Kaw-djer, que je vous remercie, avant tout. Vous nous avez sauvés d’une mort certaine. Sans vous et sans vos compagnons, nous étions inévitablement perdus. »

Les traits, la voix, le geste de ce passager disaient son honnêteté et sa droiture. Le Kaw-djer serra avec cordialité la main qui lui était tendue, puis, employant la langue anglaise dans laquelle on lui adressait la parole :

« Nous sommes trop heureux, mon ami Karroly et moi, répondit-il, que notre expérience de ces parages nous ait permis d’éviter une si effroyable catastrophe.

— Permettez-moi de me présenter. Je suis émigrant et je m’appelle Harry Rhodes. J’ai avec moi ma femme, ma fille et mon fils, reprit le passager en désignant les trois personnes qu’il avait quittées pour aborder le Kaw-djer.

— Mon compagnon, dit en échange le Kaw-djer, est le pilote Karroly, et voici Halg, son fils. Ce sont des Fuégiens, comme vous pouvez le voir.

— Et vous ? interrogea Harry Rhodes.

— Je suis un ami des Indiens. Ils m’ont baptisé le Kaw-djer, et je ne me connais plus d’autre nom. »

Harry Rhodes regarda avec étonnement son interlocuteur qui soutint cet examen d’un air calme et froid. Sans insister, il demanda :

« Quel est votre avis sur ce que nous devons faire ?

— Nous en parlions précisément, M. Hartlepool et moi, répondit le Kaw-djer. Tout dépend de l’état du Jonathan. Je n’ai pas, à vrai dire, beaucoup d’illusions à ce sujet. Cependant, il est nécessaire de l’examiner avant de rien décider.