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Page:Verne - Les grands navigateurs du XVIIIe siècle, 1879.djvu/199

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SECOND VOYAGE DU CAPITAINE COOK.

Quant à leur caractère, son séjour sur cette côte fut trop court pour qu’il pût l’apprécier avec justesse, et, certainement, il ne soupçonna jamais qu’ils étaient adonnés aux horribles pratiques de l’anthropophagie. Il n’aperçut que fort peu d’oiseaux, bien que la caille, la tourterelle, le pigeon, la poule sultane, le canard, la sarcelle et quelques menus oiseaux vécussent là à l’état sauvage. Il ne constata la présence d’aucun quadrupède, et ses efforts pour se procurer des rafraîchissements furent continuellement infructueux.

À Balade, le commandant fit plusieurs courses dans l’intérieur et escalada une chaîne de montagnes afin d’avoir une vue générale de la contrée. Du sommet d’un rocher, il aperçut la mer des deux côtés et se rendit compte que la Nouvelle-Calédonie, dans cet endroit, n’avait pas plus de dix lieues de large. En général, le pays ressemblait beaucoup à quelques cantons de la Nouvelle-Hollande, situés sous le même parallèle. Les productions naturelles paraissaient être identiques, et les forêts y manquaient encore de sous-bois, comme dans cette grande île. Une autre observation qui fut faite, c’est que les montagnes renfermaient des minéraux, — remarque qui s’est trouvée vérifiée par la découverte récente de l’or, du fer, du cuivre, du charbon et du nickel.

Le même accident, qui avait failli être funeste à une partie de l’équipage dans les parages de Mallicolo, se reproduisit pendant cette relâche.

« Mon secrétaire, dit Cook, acheta un poisson qu’un Indien avait harponné dans les environs de l’aiguade, et me l’envoya à bord. Ce poisson, d’une espèce absolument nouvelle, avait quelque ressemblance avec ceux qu’on nomme soleil ; il était du genre que M. Linné nomme tetrodon. Sa tête hideuse était grande et longue. Ne soupçonnant point qu’il eût rien de venimeux, j’ordonnai qu’on le préparât pour le servir le soir même à table. Mais, heureusement, le temps de le dessiner et de le décrire ne permit pas de le cuire, et l’on n’en servit que le foie. Les deux MM. Forster et moi en ayant goûté, vers les trois heures du matin nous sentîmes une extrême faiblesse et une défaillance dans tous les membres. J’avais presque perdu le sentiment du toucher, et je ne distinguais plus les corps pesants des corps légers quand je voulais les mouvoir. Un pot plein d’eau et une plume étaient dans ma main du même poids. On nous fit d’abord prendre de l’émétique, et ensuite on nous procura une sueur dont nous nous sentîmes extrêmement soulagés. Le matin, un des cochons, qui avait mangé les entrailles du poisson, fut trouvé mort. Quand les habitants vinrent à bord, et qu’ils virent le poisson qu’on avait suspendu, ils nous firent entendre aussitôt que c’était une nourriture malsaine ; ils en marquèrent de l’horreur ; mais, au moment de le vendre et même après qu’on l’eut acheté, aucun d’eux n’avait témoigné cette aversion.