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Page:Verne - Les grands navigateurs du XVIIIe siècle, 1879.djvu/304

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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

La Pérouse descendit à terre dans l’endroit où ses matelots faisaient de l’eau. Quant au capitaine de Langle, il gagna une petite anse éloignée d’une lieue de l’aiguade, « et cette promenade, dont il revint enchanté, transporté par la beauté du village qu’il avait visité, fut, comme on le verra, la cause de nos malheurs. »

À terre, un marché très achalandé s’était établi. Les hommes et les femmes y vendaient toutes sortes de choses, poules, perruches, cochons et fruits. Pendant ce temps, un indigène, s’étant introduit dans une chaloupe, avait saisi un maillet et en frappait à coups redoublés sur le dos d’un matelot. Empoigné aussitôt par quatre forts gaillards, il avait été lancé à l’eau.

La Pérouse s’enfonça dans l’intérieur, accompagné de femmes, d’enfants et de vieillards, et fit une délicieuse promenade à travers un pays charmant, qui réunissait le double avantage d’une fertilité sans culture et d’un climat qui n’exigeait aucun vêtement.

« Des arbres à pain, des cocos, des bananes, des goyaves, des oranges, présentaient à ces peuples fortunés une nourriture saine et abondante ; des poules, des cochons, des chiens, qui vivaient de l’excédant de ces fruits, leur offraient une agréable variété de mets. »

La première visite se passa sans rixe sérieuse. Il y eut cependant quelques querelles : mais, grâce à la prudence et à la réserve des Français, qui se tenaient sur leurs gardes, elles n’avaient pas pris un caractère de gravité. La Pérouse avait donné les ordres nécessaires pour l’appareillage ; mais M. de Langle insista pour faire encore quelques chaloupées d’eau.

« Il avait adopté le système du capitaine Cook ; il croyait que l’eau fraîche était cent fois préférable à celle que nous avions dans la cale, et comme quelques personnes de son équipage avaient de légers symptômes de scorbut, il pensait, avec raison, que nous leur devions tous les moyens de soulagement. »

Un secret pressentiment empêcha tout d’abord La Pérouse de consentir ; il céda cependant aux instances de M. de Langle, qui lui fit comprendre que le commandant serait responsable des progrès de la maladie, que d’ailleurs le port où il comptait descendre était très commode, que lui-même prendrait le commandement de l’expédition et qu’en trois heures tout serait fini.

« M. de Langle, dit la relation, était un homme d’un jugement si solide et d’une telle capacité, que ces considérations, plus que tout autre motif, déterminèrent mon consentement ou plutôt firent céder ma volonté à la sienne...

« Le lendemain donc, deux embarcations, sous les ordres de MM. Boutin et Mouton, portant tous les scorbutiques avec six soldats armés et le capitaine