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Page:Verne - Un drame en Livonie, illust Benett, 1905.djvu/74

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V

le kabak de la « croix-rompue ».


Le cabaret de la Croix-Rompue justifiait ce nom par un dessin sang de bœuf figurant, sur un des pignons de l’auberge, — une double croix russe détachée de sa base et gisant à terre. Sans doute, quelque légende relative à une profanation iconoclaste perdue dans la nuit des temps.

Un certain Kroff, d’origine slave, veuf, âgé de quarante à quarante-cinq ans, tenait ce cabaret, que son père possédait avant lui, en ce coin isolé de la grande route de Riga à Pernau. Dans un rayon de deux ou trois verstes on n’eût pas rencontré de maison plus voisine, ou, pour mieux dire, de hameau plus rapproché. C’était l’isolement dans toute sa plénitude.

Pour clients, passagers ou habituels, Kroff ne recevait que de rares voyageurs obligés à cette halte, une douzaine de ces paysans qui travaillaient sur les cultures environnantes, et quelques bûcherons ou charbonniers occupés aux bois d’alentour.

Le cabaretier faisait-il ses affaires ?… Dans tous les cas, il ne criait jamais misère, n’étant point homme d’ailleurs à parler de ce qui le concernait. Le kabak fonctionnait depuis une trentaine d’années, avec le père d’abord — lequel, fraudeur et braconnier, avait dû remplir son sac, — avec le fils ensuite. Aussi les malins de la région auguraient-ils que l’argent ne manquait point à la Croix-Rompue. Mais cela ne regardait personne.