Aller au contenu

Page:Vers et Prose, tome 5, mars-avril-mai, 1906.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LA DRAGONNE

OMNE VIRO SOLI

C’est du latin, madame, et la première règle de Jean Despautère.

Sur la place en terre battue d’une petite ville de Savoie, au grand soleil faisant plus dur le contraste du cirque de pics de neige au fond duquel le pays semblait englouti par une mâchoire restée béante — dans toute la grandiose acception du mot banal : un trou, — des détonations retentissaient. Les boules des joueurs, celles non des « pointeurs », mais des « tireurs » poursuivaient leur élan jusqu’à la lourde planche, posée de champ, limite du jeu, et au son martial de cette canonnade, le cheval du brigadier de gendarmerie caracola.

Le feu de la partie cessé, une clochette tinta comme pour une cérémonie liturgique qui devait fervemment attirer les fidèles, car du pourtour de la place et des rues environnantes, voire, plus incroyable miracle, hors des cabarets, les habitants s’empressèrent.

La « Fanny » ! la « Fanny » !

Au centre du boulodrome on venait d’apporter une sorte de petit autel, peinturluré de façon criarde et rehaussé de dorures, lequel ne ressemblait pas mal à un guignol ou mieux à ces armoires à deux battants qui s’ouvrent, aux tirs forains, quand l’arbalète a mis dans le noir.

La clochette surmontait la légère charpente, à l’instar de celles qui pendent au dôme ajouré couronnant la fontaine des marchands de coco. Et au moyen d’une ficelle un sonneur improvisé et hilare l’agitait infatigablement. C’était le glas burlesque de l’honneur de la « quadrette » battue des joueurs de boules, annonçant qu’elle devait, comme amende honorable, venir faire hommage à la « Fanny ».