Aller au contenu

Page:Vers et Prose, tome 5, mars-avril-mai, 1906.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.



Oh, je veux que parmi l’essor de mes grands vers
l’on s’éjouisse au tintement joyeux des coupes,
dans le parfum et la couleur suaves de la rose
qui console un instant nos hivers et se meurt !…

Car nous mourrons demain ainsi qu’on vit mourir
tous ceux que nous aimâmes… trop loin du souvenir,
trop loin de la tendresse et nous aurons bientôt
fini de nous dissoudre comme une ombre légère.

Car nous mourrons bientôt, et néanmoins toujours
la terre roulera d’un rythme infatigable,
tout autour du soleil fécondateur,
éclaboussant l’espace de nos vies innombrables
telles des étincelles.

Ô pauvres vies prédestinées à des lointaines amours,
Ô pauvres vies lancées de bataille en bataille,
et que j’entends déjà chanter dans le futur
des hymnes inouïs aux pieds des nouveaux dieux !

Et vous tous, ô mes frères, qui n’avez pas encore
vécu, et dont la main n’a pas encore reçu
la torche d’or, que l’on se passe l’un à l’autre,
vous disparaîtrez, ô légions radieuses,
dans l’infini !…

Adieu, mère sublime de ma pauvre pensée,
et de mon âme passagère… Terre puissante !…
Oh ! qui peut dénombrer les joies et les douleurs,
que tu devras rouler encore vélocement
sur le cœur du Soleil…