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Page:Vianey - Les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, 1933.djvu/32

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qui soit seulement pittoresque. Toutes les parties tendront à manifester la tristesse d’un lieu qui est un de ceux où apparaissent le plus cruellement les cruautés de l’implacable lutte pour la vie.

Dans ce rugueux Sennaar, qui étend jusqu’aux pieds des monts Abyssins son sable jonché de pierres rousses et infesté de marais malsains, la vie, endormie pendant le jour, se réveille à l’approche de la nuit. Mais alors quelle triste vie ! Les hyènes, qui ont les dos maigres, parce qu’elles ont faim, et râlent, parce qu’elles respirent mal, se glissent de buisson en buisson, parce qu’elles ont peur. L’hippopotame souffle bruyamment : car lui aussi respire mal ; il se meut lourdement : car il vit dans la vase et a besoin de vautrer son ventre dans les joncs pour le nettoyer. Les chacals s’en vont vers une eau rare et saumâtre, et ils y vont « en bandes », par sûreté, en longeant les nopals qui les cachent, et cette misérable boisson les expose à la morsure d’innombrables bigaylles.

Les hommes de l’oasis n’ont pas un sort plus heureux. Ils se sont arrêtéslà après une marche fatigante dans des terrains bourbeux. Sous une lune froide, sous un ciel livide, ils sont assis autour d’une eau « terne », donc peu profonde et impure. Cette fade boisson arrose un sobre repas de mil et de maïs. Ils s’endorment en parlant du retour au pays : c’est là-bas qu’ils auront quelque joie ; ici, ils souffrent. À leurs côtés, les bœufs rêvent des grasses herbes qui leur manquent en ce lieu aride et ils sont couchés