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Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/140

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Il n’y a pas de chant plus dramatique dans l’Edda que celui qui est intitulé : Premier chant de Gudrun[1].

Auprès du corps inanimé de Sigurd est assise sa veuve désolée. Elle ne se tord pas les mains, elle ne sanglote point, elle ne pleure point, comme font les femmes : sa douleur est muette. Des chefs s’approchent avec compassion pour adoucir son sombre, désespoir : elle ne peut pas pleurer. De nobles femmes lui racontent leurs malheurs et lui montrent que d’autres en ont éprouvé de plus grands : elle ne les entend pas.

Alors sa sœur dit :

— Vous ne savez pas ce qui peut consoler une jeune épouse.

Et elle enlève le linceul qui cache Sigurd, pose la tête du héros sur les genoux de sa femme :

— Regarde ton bien-aimé, lui dit-elle, mets ta bouche sur ses lèvres, comme s’il était vivant.

Gudrun voit la chevelure du chef roidie par le sang, ses yeux sans regard, son cœur transpercé. Alors elle peut pleurer ; un torrent de larmes inonde ses genoux.

Et elle commence une plainte touchante :


Comme l’ail altier s’élève au-dessus des herbes, comme sur un baudrier brille une pierre précieuse enchâssée dans l’or ; ainsi, parmi les chefs, près des fils de Giuki, brillait mon Sigurd.

Et moi aussi je paraissais aux guerriers du roi, supérieure aux


  1. Il est traduit par Marmier, p. 47, et par Laveleye, p. 245. Je ferai toutes mes citations d’après la traduction Laveleye, qui est plus colorée.