Aller au contenu

Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quoique succinct. Aussi bien il importait moins de nous en donner les détails que de nous en faire comprendre les caractères. Et le plus saillant de ces caractères est bien celui que le poète met en relief quand il décrit avec tant de force le déluge de sang où sombrent les géants, quand il commente de ses réflexions si mélancoliques la chute de la terre, c’est-à-dire une indicible tristesse. Oui, Ampère le dit bien, ce drame cosmogonique des Scandinaves est un drame lugubre, sur lequel plane d’un bout à l’autre « une tristesse belliqueuse et un pressentiment sinistre ». On y voit la vie sortir des ténèbres, l’univers se former des débris d’un cadavre et d’un déluge de sang, les dieux souffrir et combattre, sachant qu’ils doivent mourir, Balder périr de la main de son frère, l’univers s’engloutir. « En présence de ces redoutables scènes, ajoute Ampère, on est transporté au milieu des fantômes du nord, on croit sentir son âme, pressée par le froid et la nuit, se dissoudre avec ce nébuleux univers. Si l’on entrevoit, vers la fin, l’aurore d’une vie nouvelle, plus douce et plus sereine, elle est comme ces feux polaires qui brillent d’une lueur vague au sein des longs hivers, sans en dissiper les ténèbres[1]. » Et Marmier dit fort bien à son tour : « La théogonie orientale s’est amoindrie en passant dans les régions hyperboréennes. Le vent du nord a effrayé toutes ces myriades de nymphes, de sylphes, d’anges ailés qui voltigent à travers les forêts de l’Himalaya et les vertes vallées de Kachemire. Quand cette armée de dieux s’en venait avec les bataillons


  1. Littérature et voyages, p. 363-364.