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Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/218

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Au loin, sur une hauteur entourée de pierres sacrées, deux grands vieillards, les mains élevées vers le ciel, semblaient s’adresser au soleil, et l’appeler à leur aide comme à l’approche d’un pressant danger.

Tout à coup, le ciel se voila ; les grondements lointains du tonnerre se firent entendre ; les buffles du char de Patrice, enflant leurs naseaux, soufflèrent avec force ; puis ils mugirent lamentablement et, secouant leur joug en furieux, ils emportèrent le char, dont une roue se brisa. En vain, le cocher du Saint les arrêta ; en vain, on coupa trois fois dans la forêt voisine le bois propre à réparer le dommage ; trois fois la roue, brusquement mise en mouvement, se rompit: la forêt était consacrée aux Divinités druidiques ; elle refusait de prêter son aide à la marche d’un char que les druides maudissaierft. De leur côté, les prêtres redoublaient leurs imprécations, et le soleil obéissant à leurs prières, s’enveloppa instantanément de ténèbres si épaisses, qu’une nuit profonde remplaça le jour. Or, ces ténèbres, — les Irlandais le savent, observe la légende, — toutes les fois que les druides réussissaient à les obtenir, duraient trois jours et trois nuits. Elles devaient cacher au prédicateur de l’Irlande les deux filles du roi Loegaïr, la blanche Æthnéa et Fethléna la rose. C’étaient leurs pères nourriciers et leurs instituteurs qui les répandaient en ce moment sur toute la surface du pays.

Mais, ni le génie malfaisant qui agitait les buffles, ni le démon qui habitait la forêt druidique, ni le dieu du soleil, ni les prêtres eux-mêmes ne purent prévaloir contre un signe de croix de la main de Patrice.

Cette main, qui n’avait qu’à s’ouvrir et à s’étendre pour que cinq lumières illuminassent aussitôt l’obscurité de la nuit[1],


  1. Jocelin raconte qu’une nuir le cocher de Patrice, ayant perdu ses chevaux, fondait en larmes. Ému de la douleur de son serviteur, le saint éleva la main, et des cinq doigts jaillirent aussitôt des rayons lumineux : les chevaux furent retrouvés. Acta Sanct., 2e vol. de Mars, p. 572.