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Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/282

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sion que pourrait envier un poète d’une nation civilisée. Aussi l’on ne saurait trop féliciter Leconte de Lisle de s’être contenté de les traduire, en y mettant, — ce qui n’était pas un tort, — un peu plus d’ordre et en réservant pour la fin le mot qui devait être le dernier : et devant son œuvre, « le dieu reste ravi en extase ».


Dans le Vide éternel interrompant son rêve,
L’Être unique, le grand Taaora se lève.
Il se lève, et regarde : il est seul, rien ne luit.
Il pousse un cri sauvage au milieu de la nuit :
Rien ne répond. Le temps, à peine né, s’écoule ;
Il n’entend que sa voix. Elle va, monte, roule,
Plonge dans l’ombre noire et s’enfonce au travers.
Alors, Taaora se change en univers :
Car il est la clarté, la chaleur et le germe ;
Il est le haut sommet, il est la base ferme,
L’œuf primitif que Pô, la grande nuit, couva[1] ;


  1. C’est le seul trait important que Leconte de Lisle ajoute au chant indigène. Chose piquante ! n’est-ce pas celui qu’on aurait cru le plus tahitien ? Le poète ne l’a pas, d’ailleurs, complètement inventé. Dans une note, Mœrenhout dit que le mot paa, traduit par lui la coquille [de Taaora], signifie le plus souvent l’œuf et quelquefois les parties extérieures d’un objet. Plus loin (p. 557 et suiv.), il explique que si la même cosmogonie se retrouve dans toute la Polynésie, que si partout on attirebue à Taaora (ou Tonéora ou Tangaroa) la formation des cieux et de la terre, on ne le fait pas agir partout de la même manière : ainsi, aux îles Sandwich, on dit que sous la forme d’un oiseau il déposa un œuf sur les eaux et que cet œuf en se brisant produisit le monde. Leconte de Lisle s’est inspiré de ces deux passages ; mais, tandis que d’après la version de Tahiti, Taaora n’est pas l’œuf, mais est dans l’œuf qui est le
    monde, et tandis que d’après la version des îles Sandwich Taaora est, non pas l’œuf, mais l’oiseau qui le pond, le poète français fait du dieu lui-même l’œuf primitif. — Le mot pittoresque de Pô, qu’il introduit ici, a été emprunté à une autre page de Mœrenhout (p. 431-432).