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Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/382

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Khirôn est parvenu au terme de son récit. — J’avais délibéré sur le destin des Dieux, dit-il à Orphée ; ils m’en ont puni : j’étais immortel, je mourrai. J’attends de jour en jour l’heure expiatoire, et voilà pourquoi je ne m’embarquerai pas avec les Argonautes.

Quand le vieillard s’est tu, Orphée prend la lyre d’Achille. Il chante, et Leconte de Lisle refait à son tour le tableau fameux de la nature entière suspendue aux lèvres du chanteur: la sereine Kybèle sent tressaillir ses flancs verts ; l’étalon palpite de volupté ; l’aigle se précipite de son nid sanglant ; le lion s’élance hors de son repaire ; les cerfs, les biches, les Dryades, les Satyres se sentent poussés vers l’antre par un souffle inconnu ; mais nul n’écoute Orphée avec une attention plus recueillie qu’Achille, car il a vu briller dans l’œil du chanteur une flamme restée de l’éclair qu’avait ravi Prométhée.

Avant de congédier son hôte, Khirôn, qui lit dans l’avenir, lui dévoile ses destinées : Orphée avec les Argonautes triomphera de Kolkos ; sa lyre aidera ses compagnons d’armes à vaincre la mer ; mais quelle triste fin ! Et Khirôn voit la tête sacrée du poète indignement roulée par les eaux d’un fleuve. Ce sont les Ménades qui accompliront ce crime, les Ménades servantes de Iakkhos, dieu bienveillant pourtant, dieu traîné par la fauve panthère, dieu couronné de pampres, mais qui se plaît aux fureurs des femmes.

Virgile faisait du meurtre d’Orphée déchiré par les femmes de Thrace un crime passionnel : ayant toujours au cœur son Eurydice, le chanteur repousse l’amour des autres femmes, et elles se vengent. Orphée, chez Leconte de Lisle,