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Page:Victor Baudot - Au Pays des Peaux-Rouges.djvu/105

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UNE PAROISSE AMÉRICAINE

les services d’un homme âgé, incapable de tout autre emploi. On devine que la cuisine de mes vieux (car j’en changeais souvent  !) n’avait rien de très recherché. L’un d’eux, mon vieux par excellence, et qui resta avec moi plus de deux ans, avait coutume de faire la cuisine pour deux jours. Le lundi et le mardi de chaque semaine, à midi et au soir, c’était la soupe aux pois  ; le mercredi et le jeudi un bouillon quelconque, qui n’attendait pas la fin du second jour pour rancir terriblement  ; le vendredi, on faisait des crêpes, quelquefois du poisson  ; le samedi et le dimanche étaient jours de biftecks, si toutefois la boucherie du village pouvait nous en fournir. On le voit, le régime n’était point des plus plantureux  ; mais je me portais bien et je croyais que ma santé pourrait résister à tout.

Mes plus mauvais moments, c’était quand mes hommes me quittaient tout à coup, par pur caprice ou par amour du changement  ; plus d’une fois, du soir au matin, ou du matin au soir, pour un oui, pour un non, ou même sans aucune raison apparente, ils me plantaient là, me laissant me débrouiller comme je pouvais. C’est alors que j’en étais réduit aux viandes de conserve jusqu’au soir, où vers 4 h. un jeune garçon, sortant de l’école, venait faire mon ménage  ; il allumait du feu à la cuisine  ; j’en profitais d’ordinaire pour me cuire deux œufs. Je passai ainsi, à différentes reprises, des semaines et jusqu’à un mois entier, seul jour et nuit dans ma maison, complètement isolé. «  Et s’il vous arrivait quelque chose la nuit  ?   » me disait-on. À quoi je répondais en riant : «  Si je meurs dans mon lit, on m’y trouvera bien.  » N’importe  ! cette instabilité de mes vieux domestiques et le régime débilitant qui s’ensuivait, me furent une grande croix et une dure épreuve pour ma santé.