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Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/161

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Une lune immobile éclairait les vallées,
Où des citronniers verte serpentent les allées ;
Des milliers de soleil, sans offenser les yeux,
Tels qu’une poudre d’or, semaient l’azur des cieux,
Et les monts inclinés, verdoyante ceinture
Qu’en cercles inégaux enchaîna la nature,
De leurs dômes en fleurs étalaient la beauté,
Revêtus d’un manteau bleuâtre et velouté.
Mais aucun n’égalait dans sa magnificence
Le Mont Serrat, paré de toute sa puissance :
Quand des nuages blancs sur son dos arrondi
Roulaient leurs flots chassés par le vent du midi,
Les brisant de son front, comme un nageur habile,
Le géant semblait fuir sous ce rideau mobile ;
Tantôt un piton noir, seul dans le firmament,
Tel qu’un fantôme énorme, arrivait lentement ;
Tantôt un bois riant, sur une roche agreste,
S’éclairait, suspendu comme une île céleste.
Puis enfin, des vapeurs délivrant ses contours,
Comme une forteresse au milieu de ses tours,
Sortait le pic immense : il semblait à ses plaines
Des vents frais de la nuit partager les haleines ;
Et l’orage indécis, murmurant à ses pieds,
Pendait encor d’en haut sur les monts effrayés.

En spectacles pompeux la nature est féconde ;
Mais l’homme a des pensers bien plus grand, que le monde.