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Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/163

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Et la corde légère, avec des nœuds puissants,
S’est tressée en sandale à leurs pieds bondissants.
Le silence est profond dans la foule attentive ;
Car la hache pesante, avec la flamme active,
D’un chêne que cent ans n’ont pas su protéger
Ont fait pour leur prière un autel passager.

Là ce chef dont le nom sème au loin l’épouvante
Dépose devant Dieu son oraison fervente ;
Triomphateur sans pompe, il va d’une humble voix
Chanter le TE DEUM sous le dôme des bois.
Est-ce un guerrier farouche ? est-ce un pieux apôtre ?
Sous la robe de l’un il a les traits de l’autre :
Il est prêtre, et pourtant promptement irrité ;
Il est soldat aussi, mais plein d’austérité ;
Son front est triste et pâle, et son œil intrépide :
Son bras frappe et bénit, son langage est rapide,
Il passe dans la foule et ne s’y mêle pas ;
Un pain noir et grossier compose ses repas ;
Il parle, on obéit ; on tremble s’il commande,
Et nul sur son destin ne tente une demande.
Le Trappiste est son nom : ce terrible inconnu,
Sorti jadis du monde, au monde est revenu ;
Car, soulevant l’oubli dont ces couvents funèbres
A leurs moines muets imposent les ténèbres,
Il reparut au jour, dans une main la Croix,