Le froissement léger des mélèzes touffus,
D’un combat éloigné les coups longs et confus,
Et des loups affamés les hurlements funèbres,
Et le cri des vautours volant dans les ténèbres :
« Frères, il faut mourir : qu’importe le moment ?
Et si de notre mort le fatal instrument
Est cette main des Rois qui, jadis salutaire,
Touchait pour les guérir les peuples de la terre ;
Quand même, nous brisant sous notre propre effort,
L’arche que nous portons nous donnerait la mort ;
Quand même par nous seuls la couronne sauvée
Ecraserait un jour ceux qui l’ont relevée,
Seriez-vous étonnés, et vos fidèles bras
Seraient-ils moins ardents à servir les ingrats ?
Vous seriez-vous flattés qu’on trouvât sur la terre
La palme réservée au martyr volontaire ?
Hommes toujours déçus, j’en appelle à vous tous :
Interrogez vos cœurs, voyez autour de vous ;
Rappelez vos liens, vos premières années,
Et d’un juste coup d’œil sondez nos destinées.
Amis, frères, amants, qui vous a donc appris
Qu’un dévouement jamais dût recevoir son prix ?
Beaucoup semaient le bien d’une main vigilante,
Qui n’ont pu récolter qu’une moisson sanglante.
Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/168
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