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Page:Vigny - Héléna, 1822.djvu/35

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Ses pleurs avaient cessé, mais non pas sa tristesse.
D’un rire dédaigneux : « C’est donc une autre Grèce,
« Dit-elle, où vous voyez des temples et des fleurs ?
« Moi, je vois des tombeaux brisés par des malheurs.
« — Eh quoi ! derrière nous, vois-tu pas, mon amie,
« Telle qu’une Sirène en ses flots endormie,
« Lesbos au blanc rivage, où l’on dit qu’autrefois
« Les premiers chants humains mesurèrent les voix ?
« Une vague y jeta comme un divin trophée
« La tête harmonieuse et la lyre d’Orphée ;
« Avec le même flot, la Mélodie alors
« Aborda : tous les sons connurent les accords ;
« Philomèle en ces lieux gémissait plus savante.
« Fière de ses enfants, cette île encor se vante
« Des pleurs mélodieux et des tristes concerts
« Qu’à leur mort soupiraient les Muses dans les airs. »
Mais Héléna disait, en secouant sa tête
Et ses cheveux flottants : « Votre bouche s’arrête ;
« Vous craignez ma tristesse et ne me dites pas,
« Sapho, son abandon, sa lyre et son trépas.
« Elle était comme moi, jeune, faible, amoureuse ;
« Je vais mourir aussi, mais bien plus malheureuse !