Page:Vigny - Journal d’un poète, t1, 1935, éd. Baldensperger.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

7 novembre 1826.

une âme devant dieu, élévation.

Dis-moi la main qui t’enlève,
Ô mon âme, et dans un rêve
Te montre la vérité !
D’où vient qu’un songe m’emporte
Jusques au seuil de la porte
Qu’entr’ouvre l’éternité ?
C’est ici que l’homme arrive ;
Oui, je reconnais la rive
Jusqu’où le nocher dérive,
Roulé dans le flot du temps ;
J’entre dans le port de l’âme :
Je vais m’asseoir dans la flamme ;
La place que j’y réclame
Est vide depuis longtemps.

Dieu, je te vois ! Comment pénétrer dans ta gloire ?
Détourne mes regards, ne m’anéantis pas ;
Je sens mon front brisé par ton char de victoire :
Dans cet air lumineux qui soutiendra mes pas ?
Je vois tout l’univers rajeuni par la tombe
Des êtres infinis que je ne puis compter ;

Ô mon Dieu, je succombe,
Laisse-moi m’arrêter.
Je m’arrête pour me plaindre
De ce monde d’où je sors ;
Toujours espérer et craindre ;
Et moi je pleurais les morts !