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Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/172

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que l’oisiveté de la paix faisait ressortir à nos yeux. L’Armée nous semblait un corps sans mouvement. Nous étouffions enfermés dans le ventre de ce cheval de bois qui ne s’ouvrait jamais dans aucune Troie. Vous vous en souvenez, vous, mes Compagnons, nous ne cessions d’étudier les Commentaires de César, Turenne et Frédéric II, et nous lisions sans cesse la vie de ces généraux de la République si purement épris de la gloire ; ces héros candides et pauvres comme Marceau, Desaix et Kléber, jeunes gens de vertu antique ; et après avoir examiné leurs manœuvres de guerre et leurs campagnes, nous tombions dans une amère tristesse en mesurant notre destinée à la leur, et en calculant que leur élévation était devenue telle parce qu’ils avaient mis le pied tout d’abord, et à vingt ans, sur le haut de cette échelle de grades dont chaque degré nous coûtait huit ans à gravir. Vous que j’ai tant vus souffrir des langueurs et des dégoûts de la Servitude militaire, c’est pour vous surtout que j’écris ce livre. Aussi, à côté de ces souvenirs où j’ai montré quelques traits de ce qu’il y a de bon et d’honnête dans les armées, mais où j’ai détaillé quelques-unes des petitesses pénibles de cette vie, je veux placer les souvenirs qui peuvent relever nos fronts par la recherche et la considération de ses