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Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/106

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et silencieuse qui seule avez fait descendre sur moi le regard ineffable de la pitié. J’ai résolu d’abandonner pour toujours votre maison, et j’ai un moyen sûr de m’acquitter envers vous. Mais je veux déposer en vous le secret de mes misères, de ma tristesse, de mon silence et de mon absence obstinée. Je suis un hôte trop sombre pour vous, il est temps que cela finisse. Ecoutez bien ceci.

J’ai dix-huit ans aujourd’hui. Si l’âme ne se développe, comme je le crois, et ne peut étendre ses ailes qu’après que nos yeux ont vu pendant quatorze ans la lumière du soleil ; si, comme je l’ai éprouvé, la mémoire ne commence qu’après quatorze années à ouvrir ses tables et à en suivre les registres toujours incomplets, je puis dire que mon âme n’a que quatre ans encore depuis qu’elle se connaît, depuis qu’elle agit au-dehors, depuis qu’elle a pris son vol. Dès le jour où elle a commencé de fendre l’air du front et de l’aile, elle ne s’est pas posée à terre une fois ; si elle s’y abat, ce sera pour y mourir, je le sais. Jamais le sommeil des nuits n’a été une interruption au mouvement de ma pensée ; seulement je la