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Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/134

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de la salle à manger aux femmes qu’il avait reçues, ensuite se rasseyait avec tous les hommes, et demeurait à boire jusqu’à minuit. Tous les vins du globe circulaient autour de la table et passaient de main en main, emplissant pour une seconde des verres de toutes les dimensions, que M. Beckford vidait le premier avec une égale indifférence. Il parlait des affaires publiques avec le vieux lord Chatham, le duc de Grafton, le comte de Mansfield, aussi à son aise après la trentième bouteille qu’avant la première, et son esprit, strict, droit, bref, sec et lourd ne subissait aucune altération dans la soirée. Il se défendait avec bon sens et modération des satiriques accusations de Junius, ce redoutable inconnu qui eut le courage ou la faiblesse de laisser éternellement anonyme un des livres les plus spirituels et les plus mordants de la langue anglaise, comme fut laissé le second Evangile, l’Imitation de Jésus-Christ.

Et que m’importent à moi les trois ou quatre syllabes d’un nom ? soupira Stello. Le Laocoon et la Vénus de Milo sont anonymes, et leurs statuaires ont cru leurs noms immortels en cognant leurs blocs avec un petit marteau. Le nom