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Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/165

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talons qui frappaient sourdement sur le tapis, et le sifflement monotone d’une grande bouilloire d’argent placée sur la table, source inépuisable d’eau chaude et de délices pour les deux causeurs nocturnes. Stello laissait échapper, en marchant vite, des exclamations douloureuses, des hésitations pénibles, des jurements étouffés, des imprécations violentes, autant que ces signes se pouvaient manifester dans un homme à qui l’usage du grand monde avait donné la retenue comme seconde nature.

Il s’arrêta tout d’un coup et toucha de ses deux mains les mains du Docteur. « Vous l’avez donc vu aussi ? s’écria-t-il. — Vous avez vu et tenu dans vos bras le malheureux jeune homme qui s’était dit : Désespère et meurs, comme souvent vous me l’avez entendu crier la nuit ! Mais j’aurais honte d’avoir pu gémir, j’aurais honte d’avoir souffert, s’il n’était vrai que les tortures que l’on se donne par les passions égalent celles que l’on reçoit par le malheur. — Oui, cela s’est dû passer ainsi ; oui, je vois chaque jour des hommes semblables à ce Beckford, qui est miraculeusement incarné d’âge en âge sous