Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/197

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Quelquefois il me protégeait, lorsqu’il y avait revue, ou combat, ou révolution dans la révolution. En ma qualité de curieux, j’allais à pied dans les rues, en habit noir comme me voici, et la canne à la main comme me voilà. Alors je cherchais de loin les canonniers (il en faut toujours un peu en révolution), et quand je les avais trouvés, j’étais sûr d’apercevoir, au-dessus de leurs chapeaux et de leurs pompons, la tête longue de mon paisible Blaireau qui avait repris l’uniforme et me cherchait de loin avec ses yeux endormis. Il souriait en m’apercevant et disait à tout le monde de laisser passer un citoyen de ses amis. Il me prenait sous le bras ; il me montrait tout ce qu’il y avait à voir, me nommait tous ceux qui avaient, comme on disait, gagné à la loterie de sainte Guillotine, et le soir nous n’en parlions pas : c’était un arrangement tacite. Il recevait ses gages de ma main à la fin du mois, et refusait ses appointements de canonnier de Paris. Il me servait pour son repos, et servait la nation pour l’honneur. Il ne prenait les armes qu’en grand seigneur : cela l’arrangeait fort, et moi aussi.

Tandis que je contemplais mon domestique…