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Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/286

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il avait son air de somnolence ordinaire, et son habit de canonnier me parut lui valoir une grande considération parmi les gens à pique et à bonnet qui l’environnaient. La liste que tenait le commissaire était composée de plusieurs papiers mal griffonnés, et que ce digne agent ne savait pas mieux lire qu’on n’avait su les écrire. Blaireau s’avança avec zèle, comme pour l’aider, et lui prit par égard son chapeau, qui le gênait. Je crus m’apercevoir qu’en même temps Rose ramassait quelque papier par terre, mais le mouvement fut si prompt et l’ombre était si noire dans cette partie du réfectoire ; que je ne fus pas sûr de ce que j’avais vu.

La lecture continuait. Les hommes, les femmes, les enfants mêmes, se levaient et passaient comme des ombres. La table était presque vide et devenait énorme et sinistre par tous les convives absents. Trente-cinq venaient de passer : les quinze qui restaient, disséminés un à un, deux à deux, avec huit ou dix places entre eux, ressemblaient à des arbres oubliés dans l’abattis d’une forêt. Tout à coup le commissaire se tut. Il était au bout de sa liste, on respirait. Je poussai pour ma part, un soupir de soulagement.