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Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/376

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Je réfléchissais sagement, je raisonnais logiquement, je voyais nettement, et j’agissais en insensé. L’air avait été rafraîchi, la pluie avait séché dans les rues et sur moi sans que je m’en fusse aperçu. Je suivais les quais, je passais les ponts, je les repassais, cherchant à marcher seul sans être coudoyé, et je ne pouvais y réussir. J’avais du peuple à côté de moi, du peuple devant, du peuple derrière, du peuple dans la tête, du peuple partout : c’était insupportable. On me croisait, on me poussait, on me serrait. Je m’arrêtais alors et m’asseyais sur une borne ou une barrière : je continuais à réfléchir. Tous les traits du tableau me revenaient plus colorés devant les yeux ; je revoyais les Tuileries rouges, la place houleuse et noire, le gros nuage et la grande Statue et la grande Guillotine se regardant. Alors je partais de nouveau ; le peuple me reprenait, me heurtait et me roulait encore. Je le fuyais machinalement, mais sans en être importuné ; au contraire, la foule berce et endort. J’aurais voulu qu’elle s’occupât de moi, pour être délivré par l’extérieur de l’intérieur de moi-même. La moitié de la nuit se passa ainsi dans un vagabondage de fou. Enfin, comme je m’étais assis sur le parapet